Interview...
INTERVIEW OMBRES BLANCHES (EXTRAIT)
Comment êtes-vous arrivé à l’écriture ? Quand avez-vous commencé à écrire ?
En lisant beaucoup… et avec de multiples tentatives avortées en cours de route, jusqu’au jour où je me suis obligé, malgré les doutes, à « aller au bout » du texte que j’avais entrepris. Mes premiers souvenirs en la matière remontent à la classe de cinquième. Avec un camarade, nous écrivions en cachette un roman policier.
Avez-vous des héros littéraire ?
De nombreux… Modlizki de Ungar, Kafka « héros » des lettres qu’il écrit à Miléna ou à son père, Meursaut, Lucien de Rubempré, Solal, Odette de Crécy, Proust « héros et écrivain », tant d’autres… René Leys.
Quels livres sont actuellement sur votre table de chevet ?
Il y en a toujours plusieurs… « Entre la vie et la mort » de Nathalie Sarraute, « La confrontation » de Louis Guilloux, un essai de Boris Cyrulnik.
Y a t-il des livres que vous n’avez jamais terminés et pourquoi ?
« Ulysse » de Joyce… à mon grand regret. J’ai essayé à deux reprises. Je le reprendrai plus tard. J’ai eu le sentiment de passer devant une demeure fermée qui ne m’offrait aucun accès.
Il y a d’autres ouvrages que je n’ai pas terminés, et au sujet desquels je n’ai éprouvé aucun remord ! Tout simplement parce qu’ils m’ennuyaient et ne me conduisaient nulle part. Ni par la narration, ni par l’écriture, ni par le sujet…
Votre livre préféré quand vous étiez enfant ?
Dans l’enfance, ce sont plus les héros que les livres qui nous attachent. Les livres qu’on met sur un piédestal, me semblent arriver avec l’adolescence. Pour répondre à votre question, je vous dirai « Arsène Lupin » de Maurice Leblanc, « Sherlock Holmes », le « Comte de Monte Cristo » aussi, le « Capitaine Fracasse »…
Si vous aviez un livre à offrir… quel serait-il et pourquoi ?
Je ne sais pas répondre. Je choisis toujours mes cadeaux en fonction de ce que je crois savoir de la personne… et pour un livre, j’essaie toujours de trouver, parmi les livres que j’aime, celui qui devrait lui plaire.
Faire un cadeau est important, c’est un instant d’intimité et de gêne, il est agréable de bien le réfléchir. J’ai eu offert « Le rivage des Syrtes », « Pedro Paramo », « Belle du Seigneur », « L’heure bleue », « Mes amis » de Bove… Ce sont des livres différents.
SUR "NOTRE SECONDE VIE" - Chronic'art (juillet 2007)
1° - Comment vous est venue l’idée d’écrire un roman inspiré de Second Life ? Jouez-vous vous-même sur SL, ou en avez-vous fait l’expérience ?
J’avais écrit en 2001 un roman - « Survivance » - qui essayait de raconter notre époque au travers des tribulations d’une famille, les Fargier, que l’on suivait sur quatre générations. Le roman commençait vers la fin du XIXème siècle et s’achevait dans les années 2060. La dernière période racontait un univers où l’humanité avait atteint une quasi immortalité qui s’avérait difficile à supporter… Les gens étaient des vieillards reclus dans des maisons de retraite, et ils passaient leur temps à avaler des neuroleptiques et à vivre une vie de compensation grâce à leur propre image (celle de leur jeune temps) qu’ils pilotaient sur l’écran de leur ordinateur.
Je n’étais pas allé au bout de cette idée dans la mesure où elle faisait partie d’un tout qui était en recherche d’une autre cohérence, mais elle me semblait être intéressante pour parler de notre société actuelle, et j’avais l’intention d’y revenir dans un autre roman. Il se trouve que j’ai entendu parler par hasard de Second Life en 2005, et que j’ai beaucoup échangé avec un ami qui en est un résident assidu. Cela a ravivé mon envie de poursuivre mon propos sur les univers virtuels, mais je me suis interdit d’aller dans Second Life durant toute l’écriture de « Notre seconde vie » par crainte d’emprisonner ou de brider mon imagination. Les expériences trop précises me semblent souvent épuiser les histoires potentielles… Je me suis donc contenté d’échanger avec mon ami, et je ne suis allé dans Second Life que lorsque le livre a été définitivement achevé. D’ailleurs, malgré la proximité du titre, je ne considère pas que mon roman traite de Second Life, il évoque librement ce que pourrait être un univers virtuel.
2° - Dans le roman, NSV est un phénomène mondial, presque aucun humain n'y échappe. Pensez-vous que "Second Life", ou des systèmes de vie virtuelle du même genre, sont appelés à un tel succès ? D'ici quel délai ?
« Notre Seconde Vie » prend pour hypothèse que des catastrophes écologiques se sont produites et ont imposé un brutal arrêt de nos modes de vie. L’histoire est donc située dans une époque où l’avenir ne porte en lui aucune générosité, et où le monde réel ne peut plus accueillir ni supporter le délire des ego. Le seul moyen de calmer la tyrannie des ego est alors de les orienter vers des satisfactions virtuelles… C’est ce qui explique pourquoi, dans mon roman, six milliards d’humains vont dans « NSV ». Pour en revenir à notre monde réel, je crois que les espaces virtuels seront amenés à jouer un rôle important. Ils auront de toute évidence une place de choix dans la société de communication que l’on nous prédit, mais il est très difficile de dire sous quelle forme cela adviendra. La puissance des machines va continuer à augmenter, et les prouesses qui seront possibles dans cinq ou dix ans donneront aux univers virtuels une crédibilité aujourd’hui mise à mal par des images peu convaincantes et des temps de réponse souvent très longs.
3° - "Second Life" est-il un bon matériau romanesque ? Dans "Notre seconde vie", vous l'utilisez abondamment pour jouer sur la frontière virtuel/réel, et reprenez même le mythe d'Oedipe à travers lui... Avez-vous l'impression d'en avoir épuisé le potentiel dans votre roman, ou en tous cas d'avoir utilisé l'essentiel ?
Second Life est un excellent matériau romanesque qui offre deux plans de narration (monde réel et monde virtuel) avec des passerelles possibles entre les deux, et des jeux de miroir autour de la double vie des personnages. SL a un fort potentiel de situations, il permet des incursions surréalistes, des scènes délirantes, il ouvre la porte sur toutes les fantaisies qu’il peut cependant enraciner dans la réalité. J’avais en tête de nombreuses autres scènes que je n’ai finalement pas exploitées, parce qu’une narration a sa logique propre, une petite musique qu’il ne faut pas interrompre sous peine de casser la cohérence d’ensemble du propos. Je ne suis pas du tout sûr d’avoir utilisé l’essentiel, mais peu importe, mon souci premier était de parler de notre monde au travers de ces univers virtuels, de montrer comment de tels univers sont la prolongation de notre monde réel, de voir comment l’humanité peut basculer et s’accommoder de cela.
4° Votre vision de NSV est désenchantée : argent roi, spéculation, superficialité, règne du people. Vous imaginez même des babas protestataires qui dénoncent cette dérive. Est-ce selon vous le destin inévitable de "Second Life" et des jeux du même genre ?
Je ne pense pas que l’humanité puisse s’imaginer autrement. A quelques exceptions près, notamment d’avatars assez délirants mi-hommes mi-bêtes ou drolatiques robots, j’ai plutôt le sentiment que Second Life reproduit le monde actuel, en le libérant de ses dernières contraintes et en amplifiant ses tendances… C’est pour cela que « Notre seconde vie » présente une société du spectacle décuplée qui reprend les travers les plus visibles de celle que nous vivons et qui les pousse plus loin encore… Par exemple l’un des personnages du roman se demande pourquoi il ne serait pas enterré, du moins pendant quelques temps, au Panthéon. « Pourquoi n’y aurais-je pas droit ? » demande-t-il avec morgue. Le quart d’heure de célébrité octroyé par Warhol n’est déjà plus suffisant, l’individu livré à lui-même est sans limite. En bref, je ne vois pas par quel miracle les univers virtuels échapperaient à l’individualisme médiocre et arrogant qui se développe avec tant de suffisance depuis trois décennies...
5° - La sexualité humaine peut-elle être transférée sans reste dans les mondes virtuels ?
Personnellement j’ai du mal à le penser dans la mesure où la sexualité fait partie de nos instincts fondamentaux… La faim et la soif n’ont pas cours dans SL. Il n’empêche que le cybersexe est un fantasme puissant et que nombreux sont ceux qui y songent ! Je l’évoque vers la fin du roman… Il n’est pas interdit de penser que la puissance fantasmatique de la sexualité puisse trouver un terrain d’expression à sa mesure, mais si l’on en reste à l’idée que tout fantasme doit à un moment nécessairement se nourrir de la réalité, il est difficile de comprendre la ligne de partage qui pourra se faire entre virtuel et réel. Mais on peut aussi se dire que, dans la mesure où l’enjeu financier des nouveautés en matière de cybersexe sera colossal – qu’on se souvienne du minitel rose pourtant si pauvre ! -, il y aura forcément des tentatives et des tentations.
8° - Les mondes virtuels sont-ils un refuge, le signe d'une angoisse dans la "vraie" vie, le signe d'une volonté de vivre une vie facile et déresponsabilisée ? Bref, d'une peur d'affronter le "vrai " réel ?
Oui sans aucun doute… Mais c’est peut-être aussi une forme de nouvelle utopie, ou plus exactement la dernière forme d’aventure accessible au commun des mortels. Dans la mesure où la conquête spatiale n’est pas abordable, où les ruées vers l’or sont finies, où les terres à conquérir n’existent plus, où les trekking et autres traversées polaires avec GPS sont depuis longtemps tristement formatés… L’humanité a besoin d’utopie et d’espaces vierges.