Dix-sept frigos
Roman social
N° 468 Semaine du 08 avril 2006 au 14 avril 2006 - par BENOÎT DUTEURTRE
Dans l'Armoire volante, un film de Carlo Rim, un imbroglio macabre conduit Fernandel à entasser chez lui 16 armoires à glace du même modèle; la plus belle scène montre son appartement progressivement envahi par ces meubles, dans un subtil glissement du conte policier vers une fantaisie à la Marcel Aymé. Tel est un peu le fil conducteur du nouveau et délicieux roman d'Alain Monnier. Après avoir acheté un réfrigérateur qui ne marche pas, puis contacté le service clients, l'héroïne se trouve prise dans un enchaînement imprévu à l'issue duquel son appartement va héberger pas moins de 17 frigos. Cette folie douce fait la saveur d'un récit qu'on ne lâche pas jusqu'à la dernière page. On peut lire Givrée comme une fantaisie sur l'entreprise moderne et ses dérèglements kafkaïens, ses services d'assistance téléphonique qui ne peuvent rien résoudre, ses responsables irresponsables - le tout relayé par des chaînes de télé à l'affût d'actualités (Marie qui n'a rien demandé se voit soudain regardée comme une collectionneuse originale). Mais Alain Monnier sait également utiliser ce malentendu pour faire vivre pleinement son héroïne et regarder à la loupe les relations de Marie avec son entourage. Le ton de l'auteur, plein d'empathie pour ses personnages - ce qui n'empêche pas la cruauté -, sa façon de commenter les amours de Marie au milieu des frigos, tout cela donne à son roman un vrai relief, mélange subtil de réalisme social, de portrait féminin et de pure fantaisie. En lisant ces pages, on songe plus d'une fois que, si la littérature fait bien de retourner vers le réel pour échapper aux vains exercices d'écriture, c'est aussi grâce à une bonne dose d'imagination et de surréalisme que le roman social moderne - en vogue depuis Houellebecq - évitera de trop s'enfermer sur lui-même
Givrée, d'Alain Monnier, Flammarion, 186 p., 15 euros.